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le travail sur la dramaturgie de On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset mis en scène en 2010 par André Ori nous a amenés à nous interroger sur la modernité de ce texte "classique".

 

La question peut paraître superflue tant il a été dit ici et là, et depuis fort longtemps, que la qualité des textes vient justement de leur pouvoir de continuer à faire écho bien après, des millénaires parfois, leur création.

 

Mais plus précisément, ce qui nous a paru actuel dans On ne badine pas avec l'amour, c'est comment deux jeunes gens vont faire sauter les conventions sociales, non pas, malheureusement, pour réussir leur relation amoureuse mais au contraire pour la condamner à un échec mortifère.

 

On sait que c'est leur orgueil qui est responsable, ou, comme le diraient peut-être les psychanalystes : comment réussir à échouer ?

 

Mais revenons à cette modernité qui nous intéresse : quelles conventions sociales des adolescents d'aujourd'hui ont-ils à affronter pour construire une relation amoureuse de leur choix ? L'argent ? N'y pensons même pas. Le milieu ? Pas davantage. La race ? De moins en moins. La religion ? Encore que… Les préférences sexuelles ? Les lois occidentales ont presque partout rendu leur verdict. On pourrait presque dire, un rien cyniques, qu'aujourd'hui pour les adolescents c'est le désespoir de cause, autrement dit qu'ils abordent un monde où plus rien ou presque ne leur est refusé, ce qui leur complique singulièrement l'existence !

 

Il n'en allait pas ainsi, loin s'en faut, au "temps" de Musset comme on dit. Evoquons Balzac, son contemporain (il échangea une correspondance avec Georges Sand dont on connait tout le poids dans l'"histoire" de Badine), et sa Comédie humaine : Balzac met en scène entre l'Empire et la Restauration tout ce qui bouge dans l'ordre social d'alors, et notamment les systèmes d'alliances matrimoniales.

 

Les jeunes générations commencent à regimber aux mariages arrangés et le bonheur de l'individu vient disputer sa prééminence à la cohésion familiale et sociale de l'ordre ancien déchu. L'orgueil des Camille et Perdican de Musset sont-ils autre chose que cet individualisme assoiffé que Balzac met au jour et que Flaubert fera s'épanouir dans, par exemple, L'éducation sentimentale sous le régime des journées de juillet 1848 ?

 

Musset a sa propre manière de confronter ses personnages à la question de la place de l'individu dans le corps social : il ouvre sa scène aux fantoches (le baron, le curé, le gouverneur et Pluche) ; plus encore, il redonne un rôle au choeur antique et à une nature dionysiaque qui vient percuter la culture décadente dans laquelle s'empêtrent Camille et Perdican : ivres du mauvais cocktail de leur immaturité, de leur égoïsme et de leur volonté de puissance, ils finiront par casser leurs beaux joujoux d'enfants gâtés plutôt que de se les échanger dans le bonheur simple d'un amour qui leur crève les yeux. Il n'y a que les imbéciles pour croire que le diable agit dans les ténèbres !

 

Le talent d'André Ori est d'avoir, nous semble-t-il, et sans rien omettre du drame, poussé l'avantage dans une mise en scène picaresque où Perdican et Camille se retrouvent en Andalousie ou même en Colombie, loin de l'esprit de sérieux, jusqu'aux frontières d'un réalisme magique à la Gabriel Garcia Marquez.

 

jean-Jacques Maly 

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